LA TAPISSERIE AVANT LE XIVe SIÈCLE                  17
« Le style, ajoute-t-il, est inégal (les cartons sont évidemment de deux artistes différents) ; tantôt il se rapproche du style courant de cette époque, tantôt, avec de certaines réminiscences byzantines, il s'élève à une telle perfection de formes, à ùne telle harmonie de proportions,.à une telle noblesse, à une telle science de la dra­perie, que l'on croit y reconnaître la manifestation d'un art parvenu à son apogée. »
C'est précisément ce frappant contraste qui nous inspire des doutes sur l'exactitude de la date unique attribuée à la tenture tout entière. A-t-on fourni la preuve que l'abbesse de Quedlim-bourg y travaillait au commencement du xiii0 siècle? Est-on par­venu à établir que tout l'ouvrage fut achevé en peu de temps et sans interruption? Quand on connait les incertitudes qui subsis­tent encore sur les origines de la fameuse broderie de Bayeux, on a quelque droit de se montrer sceptique devant des affirmations qui ne sont appuyées d'aucune preuve.
La question sans cloute mérite d'être soigneusement examinée; mais elle nous parait loin d'être résolue. Les textes du xiii0 siècle mentionnent des broderies consacrées à la représentation de scènes contemporaines, et exécutées dans les couvents; aussi ne peut-on faire entrer en ligne de compte, dans la discussion de ces problèmes . délicats, les tentures à sujets profanes ou religieux vaguement.et sommairement désignées dans les inventaires et les textes littéraires. L'imagination des poètes a souvent fait les frais de ces brillantes décorations, dont la description emphatique remplit des pages en­tières. On risquerait donc de faire fausse route en prenant ces morceaux littéraires pour des arguments historiques.
Ainsi le témoignage même des écrivains qui ont examiné et dé­crit les. prétendues tapisseries du xii0 et du xiii0 siècle est fait pour inspirer des scrupules sérieux. L'art.allemand s'est longtemps, attardé dans les traditions romanes et byzantines, alors que les peintres des provinces françaises s'étaient affranchis des vieilles formules, que l'art gothique, né au cœur de la France, ouvrait un libre essor à l'inspiration de ses disciples. Il en résulte nécessaire­ment que les productions de l'industrie allemande, comparées aux œuvres de notre sol, paraîtront sensiblement plus anciennes qu'elles i ne le sont réellement, ll y a là une source de méprises dont il im­porte de tenir compte quand on veut assigner une date aux créations des artistes et des artisans qui ont travaillé de l'autre côté du Buin.
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